Les coûts et dommages environnementaux

After the rain by wanderer_photographer

© CC Search  - CC BY-NC-ND 2.0 

Les coûts et dommages environnementaux

30 avril 2024 -
Valeurs de l'environnement
Coûts et dommages environnementaux
Les activités humaines et économiques (industrie, commerce, agriculture) exercent des pressions sur les ressources naturelles et l’environnement. Ces atteintes sur les milieux naturels ont conduit, pour certains, à des changements écologiques globaux. On peut aujourd’hui observer et mesurer ces impacts sur le climat, la biodiversité et les ressources naturelles comme l’eau.
Figure 1 : les changements écologiques induits par l'humain

Les changements écologiques induits par l'humain

Les changements écologiques induits par l'humain

1
.
Qu'est ce qu'un coût environnemental ?

    • La notion de coût environnemental

Les dommages, ou dégradations environnementales, sont définis comme toute action qui détériore, endommage ou altère durablement la qualité ou le fonctionnement de l’environnement et des écosystèmes, et/ou les quantités de ressources naturelles disponibles. Les dommages environnementaux, par l’altération du bien-être des individus qu’ils produisent, génèrent ce que les économistes appellent des coûts environnementaux.

De nombreuses activités humaines produisent des dommages environnementaux. L'agriculture, par exemple, modifie profondément les écosystèmes naturels afin de produire des ressources nécessaires aux Hommes. le développement de l'irrigation, la motorisation de l'activité et l'usage excessif des pesticides sont autant de facteurs qui augmentent les impacts environnementaux de l'activité agricole. 

Agriculture épandage

Agriculture épandage

    • La dégradation des milieux aquatiques, une source d’altération du bien être

Le naufrage de l’Erika a provoqué une marée noire sur plus de 400 kilomètres de côtes en déversant près de 19 700 tonnes de pétrole. L’impact sur le littoral est important, aussi bien pour la faune et la flore (contamination chimique) que pour les activités humaines (pêche, tourisme). Cette affaire est la première pour laquelle la cour de cassation en France a reconnu le préjudice écologique, faisant ainsi jurisprudence. 

La marée noire est une catastrophe environnementale très visible, mais il en existe beaucoup d’autres, comme par exemple la pollution des eaux, dont le coût devra être pris en charge par l’ensemble de la société. Ainsi, les rejets de micropolluants (pesticides, résidus de médicaments humains et vétérinaires, carburants,….) dans les rivières issus des eaux usées traitées et non traitées représentent une pollution de l’eau, impactant sa qualité ainsi que la faune et la flore environnante. 

On peut prendre également l’exemple de l’érosion. C’est un phénomène naturel, mais qui s’accentue suite aux activités humaines. L’extraction de granulats dans le lit d’une rivière entraîne une érosion qui est susceptible de provoquer un creusement du lit en amont et en aval de la zone d’extraction.

Ce type de phénomène a de multiples conséquences pour le milieu et sa biodiversité. Il peut, par exemple, entraîner des pertes d’habitats ou provoquer la déconnexion de milieux entre eux suite à l’abaissement de la nappe. 

Illustration : incision du lit d'un cours d'eau

L'incision du lit d’un cours d’eau

© Agence française pour la biodiversité / Réalisation Matthieu Nivesse (d'après OIEau), 2018 - LO-OL

L’érosion naturelle sur la côte

La dégradation de la qualité des milieux aquatiques par la pollution peut obliger les services d’eau et d’assainissement à opérer des traitements supplémentaires de potabilisation de l’eau ou des déplacements de captages. De même, si les ménages n’ont pas accès à une eau de qualité, ils pourraient envisager d’obtenir de l’eau en bouteille qui coûte plus chère et crée des déchets supplémentaires. De plus, la surexploitation des ressources en eau peut conduire à des effets néfastes sur le milieu ainsi que pour les usagers de l’eau. 

Le bien-être des usagers directs s’en trouve affecté. Toute dégradation d’une ressource induit des coûts pour les usagers de cette ressource qui ne pourront plus en bénéficier ou devront modifier leurs usages.

Le bien-être collectif en pâtit également : les dépenses publiques, affectées à la restauration des milieux et/ou à la compensation des atteintes à l’environnement ne pourront pas être utilisées pour augmenter le bien-être des populations, par exemple via la construction d’équipements collectifs. Les générations futures pourraient également subir les impacts sanitaires et les coûts associés de la non restauration du milieu. 

De manière générale, nos sociétés humaines dépendent des écosystèmes et de la biodiversité en bon état qui produisent et nous rendent souvent gratuitement de nombreux biens et services dits écosystémiques. L’exercice national EFESE en retient trois grands types : les biens (1), les services de régulation (2) et les services culturels (3). 

Ces biens et services écosystémiques sont de diverses natures : soit ils existent en tant que tels sans intervention anthropique (par exemple les services de régulation du climat, purification de l’air, de l’eau, etc.) soit ils existent du fait d’une action anthropique du type récolte, prélèvement ou accès (production agricole, pêcherie, etc.). 

 

L’altération de l’environnement et des écosystèmes représente un risque pour l’ensemble de la société et les générations futures. Ce risque se traduit par des coûts pouvant être les coûts des ressources et services perdus ou le coût de restauration de l’environnement et des écosystèmes. 
 

2
.
Des coûts pesant sur l’ensemble de la société

On trouve les fondements du concept de « coûts environnementaux » dans la notion économique d’effets externes ou externalités.  

Les économistes qualifient d’externalité les décisions ou actions des agents économiques qui ont des effets sur le bien-être d’autres agents (entreprises, consommateurs, usagers d’un service…) sans que cet effet donne lieu à une contrepartie monétaire

L’effet externe peut être positif – comme dans le cas des dépenses individuelles de santé, d’éducation, de recherche qui contribuent (entres-autres) à accroître le bien-être de l’ensemble de la société – mais aussi négatif – comme dans le cas d’une pollution.

 

    • Cadre théorique néoclassique 

En économie de l’environnement, les agents économiques prennent leur décision de production et de consommation sur la base d'un signal-prix.

L’activité de production agricole peut être à l’origine de pollutions diffuses de l’eau par les pesticides. Cela affecte indirectement le bien-être des agents qui utilisent cette eau : c’est un effet externe négatif (ou externalité négative).

Or, le fait que le prix des produits phytosanitaires ne tienne pas compte du coût de ces pollutions pour les milieux et les usagers de l’eau conduit les agriculteurs à utiliser des pesticides à un niveau supérieur par rapport à ce qu’il devrait être en tenant compte de ces effets externes. Dit autrement, la diminution du bien-être des membres de la collectivité lié à l’usage des pesticides n’affecte pas les coûts de production des agriculteurs. 

Ainsi, si l’effet sur le bien-être des agents impactés n’a pas de contrepartie marchande le responsable ne va pas le prendre en compte dans ses décisions (en l’absence d’obligations).

On estime alors que le coût social de l’activité économique diverge du coût privé de cette activité.

Par exemple, un industriel à l’origine de la dégradation de la qualité de l’eau proche de son usine ne supporte que le coût direct de son activité (coûts de production) tandis que la société supporte le coût réel de la production qui comprend la remise en état ou le traitement de l’eau polluée. Le coût supporté par la société constitue le coût social. 

Illustration : explication de la divergence entre le coût privé et le coût social

Les véritables coûts de production d'un jean

Les véritables coûts de production d'un jean

Le fait de ne pas prendre en compte le coût social dans la production implique plusieurs conséquences.

Tout d’abord, le prix du bien sera bien moins élevé que son coût réel comme on peut le voir pour la production d’un jean (source FIMIF 2016, illustration ci-dessus). De la même manière, un produit agricole coûterait plus cher s’il intégrait la dépense de dépollution de l’eau aux alentours du champ. 

 

Certaines activités très polluantes ne pourraient pas être rentables si elles prenaient le coût de la pollution en compte. Elles ne pourraient pas se développer dans la mesure où ses coûts de production d’un bien dépasseraient les prix de vente si elle devait tenir compte des externalités dans son coût de production (impact sur la biodiversité, impact sur le changement climatique, impact sur la rareté des ressources, etc.).


Les coûts pour l’environnement et la ressource ne sont pas pris en charge par ceux qui les génèrent et ne sont pas régulés par le fonctionnement habituel du marché.

Cela peut aboutir à un accroissement des atteintes sur l’environnement et à une surexploitation des ressources sans considération pour le coût supporté par l’environnement ou la société. 

La question est donc de faire en sorte d’intégrer le coût environnemental dans le coût privé, c’est-à-dire internaliser les externalités environnementales. Pour cela, plusieurs solutions sont possibles (taxes, subventions, marché de droits à polluer, etc.).

Focus : Externalités et défaillances de marché

Dans le cadre économique, une interaction entre plusieurs agents implique des échanges monétaires pour se procurer un bien (ou un service), ou pour compenser la perte d’un bien.

Lorsqu’on subit un dommage sans percevoir de contrepartie cela signifie qu’un agent retire plus qu’un autre agent de l’échange et que ce surplus n’est pas pris en compte dans l’échange économique, il est extérieur au marché : c’est une externalité. Lorsque cet effet indirect a un impact négatif sur le bien-être d’autrui, on parle d’externalités négatives. Lorsque c’est un impact positif, on qualifie cet effet d’externalité positive. Cependant, en fonction des enjeux, une même externalité peut être considérée comme positive ou négative.

Par exemple l’éclairage nocturne mis en place par une entreprise aux alentours de son usine pour des raisons de sécurité va également bénéficier aux riverains alentours (sans qu’ils aient contribuer monétairement à cet éclairage). Par contre, cette externalité positive pour les riverains sera une externalité négative pour la biodiversité au regard de la pollution lumineuse qu’elle provoque.

 

Certains économistes considèrent que ces externalités sont la manifestation d’une défaillance de marché. En effet, pour les économistes qui s’inscrivent dans le cadre de la théorie néoclassique,  le marché a théoriquement pour vertu de permettre l’efficacité dans l’allocation des ressources et d’atteindre, par la confrontation entre l’offre et la demande, un optimum c’est-à-dire la situation idéale qui permet de maximiser le bien-être de tous les agents. 

 

Le coût environnemental n’étant pas compris dans le prix des biens et services échangés sur le marché, on estime alors que le prix de marché ne reflète pas toute l’information sur ces biens et services. Cela ne permet pas aux agents de prendre les bonnes décisions de production et de consommation. Les activités polluantes peuvent alors être valorisées par le marché car leur prix est sous-estimé ; tandis que les activités de protection de l’environnement, par exemple, ne seront pas appréciées à leur juste valeur, le bénéfice social de ces activités n’étant pas non plus pris en compte par le marché.

Cela abouti donc à une situation non-optimale où le bien-être de certains agents peut se dégrader et où le marché ne permet pas une bonne régulation des activités économiques.

3
.
Comment évaluer les coûts environnementaux ?

La prise en compte des coûts environnementaux nécessite dans un premier temps de les évaluer. D’après Levrel et al., deux grandes approches sont possibles pour cette évaluation :

  • L’approche par les coûts d’opportunités.
  • L’approche par les coûts du maintien des potentialités écologiques.

 

Ces approches ont des implications différentes en termes de politiques environnementales et ne reposent pas sur les mêmes méthodes d’évaluation. 

 

a. L’approche par les coûts d’opportunités

Lorsqu’une ressource est affectée à un usage alternatif, on peut perdre le service écosystémique : cela représente un coût pour la collectivité. Ainsi, en évaluant les bénéfices rendus par les écosystèmes, on peut calculer le manque à gagner auquel la collectivité fait face et la conseiller pour affecter au mieux ses ressources.

Dans la continuité des travaux du Millenium Ecosystem Assessment et des travaux du Centre d’Analyse Stratégique (CAS) sur l’évaluation des biens et services écosystémiques, l’approche par les coûts d’opportunités évalue le coût d’un dommage en deux temps :

  1. Attribuer une valeur monétaire aux biens et services écosystémiques à partir des méthodes d’évaluation le permettant ;
  2. A partir des résultats obtenus, évaluer le coût du dommage comme la perte d’une partie de cette valeur économique sur une période donnée.

Exemple : on attribue une valeur monétaire au bon état d’une forêt à partir du calcul des services écosystémiques qu’elle fournit (stockage de carbone, régulation du climat, maintien des sols, réserve de biodiversité, production de bois, etc.). Si cette forêt est endommagée (déforestation), il est possible de calculer le coût de ce dommage en évaluant la perte de valeur économique induite par la diminution et/ou la destruction des services écosystémiques rendus par cette forêt. Ces pertes de bénéfices constituent des coûts d’opportunités ou manques à gagner.

Cette approche s’intéresse aux équivalences monétaires des biens et services écosystémiques, et considère qu’ils sont substituables avec d’autres formes de capitaux (monnaie, capital physique, …). S’il est endommagé, un bien ou service peut donc être substitué par un actif physique ou une somme d’argent apportant le même niveau de bien-être aux individus.

Exemple : un lac trop pollué où il n’est plus possible d’exercer des activités récréatives (baignade par exemple) pourra toujours être remplacé par la construction de piscines (actif physique).

De la même manière, la biodiversité est un facteur de production (à l’instar du travail et le capital) qui contribue à la production de valeur ajoutée. Ainsi la pollinisation par les insectes en France est un service qui est évaluée à 2.8 milliards d’€ en 2010 ce qui représente 8,6 % de la valeur de la production végétale française à destination humaine (EFESE, 2016).

Si les insectes venaient à disparaître soit on perdrait cette valeur soit on devrait polliniser d’une autre façon (ce qui induirait des coûts de production supplémentaires).

La perte de ce service gratuit de la biodiversité a des conséquences différentes en fonction des types de production (10-12% de la valeur de la production de fruits et de légumes est dépendante des pollinisateurs contre 24 % de la valeur de la production des oléagineux) et des territoires (une dizaine de départements du sud-est ont un indice de vulnérabilité supérieur à 20%, au contraire des régions viticoles et céréalières moins dépendantes et vulnérables sur le plan agro-économique).

Il ne faut pas oublier que ces insectes ont également un rôle à jouer sur la diversité génétique et paysagère, et que leur rôle ne se limite pas à la valeur de 2.8Mds d’€ annuel en tant que pollinisateurs uniquement (EFESE, 2016).

 

Cette approche par la valeur a des implications en termes de politique environnementale. Le régulateur va chercher à minimiser les pertes de bénéfices pour les agents économiques. Cela induit la possibilité de compromis et de compensations monétaires pour des dommages portés à l’environnement. 

 

b. L’approche par les coûts du maintien des potentialités écologiques

Une autre approche, qui semble aujourd’hui être privilégiée dans les textes réglementaires, consiste à évaluer les coûts environnementaux sous l’angle des coûts de restauration et de conservation à engager pour maintenir ou restaurer le potentiel écologique.

Cette approche considère que les services rendus par l’environnement sont indispensables à la vie sur Terre et que le capital naturel ne peut être substitué par du capital physique ou du travail « sans faire courir un risque d’effondrement au système écologique qui en est le support » (Ekins, 2003). Dans cette vision, nos sociétés humaines devront, pour perdurer, assumer et réparer les atteintes portées à l’environnement car elles en dépendent. 

L’évaluation monétaire va alors mesurer le coût associé à la mobilisation en capital physique et humain afin de maintenir ou accroître les flux de services écologiques. Les coûts environnementaux seraient un investissement pour le maintien du bon état et la conservation des services écologiques. 

Cela implique une réflexion en termes d’équivalences physiques et non monétaires. L’évaluation  des coûts environnementaux consistera à :

   • Déterminer le nombre d’habitats, espèces, services écologiques à protéger ou restaurer pour maintenir l’environnement au plus proche de son état initial ;

    • Par la suite, évaluer les coûts de protection et de restauration que cela implique.

Ainsi, le coût d’un dommage environnemental peut s’apparenter au coût des projets/programmes de restauration et de compensation nécessaires.

C’est sur cette approche qu’est basée la séquence Eviter, Réduire, Compenser (ERC), ainsi que la Loi Responsabilité Environnementale (LRE). Ces instruments règlementaires visent à faire supporter (internaliser) les coûts de restauration au responsable du dommage . 

 

Pour en savoir plus. 

« Il est possible de résumer les différences qui existent entre les deux méthodes d’évaluation des coûts de l’érosion des services écologiques à partir de quelques critères. Comme nous l’avons vu, l’approche retenue par le TEEB se focalise sur la valeur de la biodiversité et, plus précisément, sur la perte de bénéfices potentiels générée par l’inaction politique dans le domaine de la conservation. […] Une méthode d’évaluation alternative aurait pu être d’estimer les coûts de restauration, de compensation, d’innovation technique et de changements d’usages requis pour maintenir le flux des services écologiques à l’horizon 2010 ou 2050, sous l’hypothèse que l’objectif de ralentissement de l’érosion de la biodiversité fixé par la Convention sur la diversité biologique, voire l’objectif d’arrêt de cette érosion adopté par l’Union européenne, soit respecté à cet horizon. Dans ce cas, le coût de l’inaction est celui que les sociétés humaines auront à supporter après 50 ans d’inaction, si l’on considère qu’elles devront bien respecter, in fine, l’objectif d’arrêt de l’érosion de la biodiversité. Et il est possible de mettre en regard un tel coût avec ce qu’il en coûterait d’agir maintenant, en 2020 ou en 2030. L’idée est ici de souligner que plus on attend, plus la facture sera lourde, si l’on considère que la conservation de la biodiversité est bien un choix de société qui devra être assumé tôt ou tard.»
 

Extrait de "Coût d’opportunité versus coût du maintien des potentialités écologiques : deux indicateurs économiques pour mesurer les coûts de l’érosion de la biodiversité", (Natures Sciences Sociétés, H. Levrel et al., 2013) illustrant la visée de l’approche des coûts de maintien des potentialités écologiques.

 

Source : Coût d’opportunité versus coût du maintien des potentialités écologiques : deux indicateurs économiques pour mesurer les coûts de l’érosion de la biodiversité, Natures Sciences Sociétés, H. Levrel et al., 2013