Les instruments économiques et la gestion de l'eau

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Les instruments économiques et la gestion de l'eau

01 décembre 2020 -
Valeurs de l'environnement
Les instruments économiques et la gestion de l'eau
En réponse à certains enjeux liés à l’environnement, des instruments économiques ont été développés afin d’agir sur les impacts environnementaux des activités humaines. Ceux-ci constituent des outils pour le décideur politique. La montée en puissance des politiques environnementales depuis le milieu du XXe siècle s’est accompagnée de l’utilisation croissante de ces instruments dans le but de protéger et limiter la dégradation des milieux.

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Les différents types d’instruments

Parmi les instruments de politique environnementale dont dispose le décideur politique, on distingue majoritairement deux catégories : les instruments dits « règlementaires » et les instruments dits « de marché ».

Les instruments réglementaires

Les instruments de la politique environnementale : les instruments réglementaires

Les instruments de la politique environnementale : les instruments réglementaires

Les instruments règlementaires sont des mesures contraignantes, imposées aux agents sous peine de sanctions. Ce sont des instruments de type « command and control ». Par exemple, les normes d’émissions polluantes imposent des limites qui doivent être respectées par les industriels, sous peine de sanctions. Cela relève du droit de l’environnement. 

Historiquement, c’est le volet des politiques environnementales qui est appliqué. Les instruments réglementaires sont à privilégier pour réguler les catégories d’activités présentant des risques de dommages élevés pour l’environnement ou pour la santé de l’homme. Par exemple, les centrales nucléaires font l’objet de normes strictes car en cas de défaillance, les conséquences pour l’ensemble de la société sont très lourdes. C’est aussi le cas de la présence de polluants toxiques pour l’homme dans l’eau, l’air, l’alimentation etc., où on va imposer un seuil à ne pas dépasser. 

Les instruments de marché

Les instruments de la politique environnementale : les instruments de marché

Les instruments de la politique environnementale : les instruments de marché

Les instruments de marché ont connu un certain essor depuis les années 1990. 

Les instruments de marché ont trois caractéristiques : ils sont supposés corriger les défaillances du marché, ils se basent sur des mécanismes d’incitation, et peuvent également contribuer à financer des politiques de conservation (Broughton et Pirard, 2011). Leur principal objectif est d’internaliser les coûts environnementaux externes.

Il s’agit d’inciter les individus à modifier leur comportement en jouant sur les prix. Cela consiste à introduire le coût du bénéfice ou du dommage environnemental dans le prix. 

« Les instruments de marché […] visent à inciter les pollueurs à adopter volontairement des comportements plus respectueux de l’environnement. Ils reposent sur les principes et les forces du marché. Il s’agit de modifier l’environnement économique des agents économiques – leurs bénéfices et leurs coûts – i.e. d’utiliser les prix, en fonction d’objectifs environnementaux » (Stavins, 1998).

 

Les agents ont alors le choix, entre l’adaptation de leur comportement (réduction du niveau d’émissions) ou le désavantage économique qui découle de l’instrument de marché (taxe, achat de droit à polluer etc.)

Le régulateur peut s’appuyer : 

1/ sur des marchés déjà existants

C’est le cas des taxes, redevances ou subventions.

Les instruments économiques du secteur de l'eau s'appuyant sur les marchés existants

Les instruments économiques du secteur de l'eau s'appuyant sur les marchés existants

Les premières fiscalités environnementales découlent du principe du pollueur-payeur (Pigou, 1920) . Ce principe est reconnu à l'échelle internationale depuis 1972 par l’OCDE.

L’objectif est d’internaliser les coûts environnementaux externes par exemple en répercutant le coût des mesures de prévention et de lutte contre la pollution dans le prix des biens et services qui sont à l’origine de la pollution.

Par exemple, les redevances acquittées par les usagers de l’eau s’ajoutent au coût des services d’eau et d’assainissement, faisant augmenter le prix de l’eau. Plus l’individu utilise de l’eau, plus sa facture d’eau sera élevée. La redevance incite donc l’individu à limiter sa consommation afin de réduire le montant de sa facture.

Il en va de même pour les subventions. Si certains projets favorisant la protection de la ressource en eau et les milieux aquatiques sont subventionnés, les maîtres d’ouvrage seront incités à mettre en œuvre ces projets plutôt que d’autres projets non subventionnés. Ces subventions peuvent ainsi permettre de ramener le coût d’un projet plus cher mais ayant plus de bénéfices pour l’environnement en dessous d’un projet moins cher mais causant plus de dommages.

 

2/ Recourir à de nouveaux marchés 

Par exemple pour les permis de polluer ou de captages négociables et les mesures de compensation.

Les instruments économiques du secteur de l'eau s'appuyant sur de nouveaux marchés

Les instruments économiques du secteur de l'eau s'appuyant sur de nouveaux marchés

Les marchés à polluer visent à limiter la pollution en créant des seuils de pollution autorisée. Les droits à polluer sont ensuite distribués ou achetés par les différents acteurs économiques qui se les échangent sur un marché spécifique.

En France, il n’existe pas pour l’instant de marchés de ce type dans le domaine de l’eau.

Les mesures de compensations se développent en France, notamment dans le cadre de la séquence éviter, réduire, compenser et de la loi sur la responsabilité environnementale . Elles consistent à réaliser des projets permettant de limiter les atteintes faites à l’environnement (dommage constaté ou à venir).

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Quel instrument pour quel contexte ?

Une régulation par les prix permet plus de flexibilité que l’approche réglementaire : ce type de régulation tend à s’adapter aux contraintes des entreprises et à inciter à l’innovation.

On peut prendre l’exemple de la taxe sur des émissions polluantes, introduite en Suède depuis les années 1990, qui impose une taxe sur le kilogramme de NOx produit. Cette taxe a été fixée à un niveau relativement bas au départ, et a augmenté au fur et à mesure, en s’accompagnant d’une aide à l’adaptation. C’est un mécanisme incitatif qui amène les entreprises et les ménages à progressivement prendre en compte et réduire leurs émissions. 

Les approches les plus contraignantes visent ce qu’on appelle une « durabilité forte » : on n’attend pas seulement la compensation financière, mais une compensation en termes physiques. Par exemple, un site qui a été exploité doit être réhabilité, et retrouver les mêmes fonctions écologiques qu’avant sa mise en exploitation. 

Les différents instruments sont plus ou moins flexibles. Le choix du type d’instrument dépend : 

  • du contexte dans lequel il est appliqué, 
  • des objectifs visés par le régulateur, 
  • de son efficacité et son efficience
  • du type d’externalité concernée
  • de la négociation sociale (acceptabilité)
  • etc.

 

Il faut souligner que plusieurs instruments peuvent être combinés en fonction des différents objectifs à atteindre.

Il existe également des instruments qui ne relèvent pas clairement d’une catégorie ou de l’autre . Ainsi, les accords volontaires amènent les entreprises à s’engager à respecter des objectifs améliorant l’environnement. Il n’y a pas de réglementation, ni d’action ou d’incitation sur le prix. Cela reste un instrument engageant des entreprises à une conduite plus respectueuse de l’environnement. 

Focus : La durabilité « faible » et durabilité « forte »

Les notions de durabilité « faible » et durabilité « forte » renvoient au concept de développement durable (ou soutenable). Défini comme « un développement qui répond au besoin du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs », deux visions sont cependant possibles.

 

La première, celle de durabilité (ou soutenabilité) « faible », considère que le développement soutenable nécessite la transmission d’une génération à l’autre d’un stock global de capital au moins constant dans le temps, mais autorise la substituabilité entre les différentes formes de capital (capital physique/technique, capital institutionnel, capital humain). Ainsi la destruction de capital naturel peut être compensé par l’augmentation de capital crée par l’homme, grâce au progrès technique.

Cette vision est présente dans l’approche par les coûts d’opportunités. Cela a des répercussions sur la manière d’évaluer les coûts environnementaux, et ainsi sur les politiques à mettre en œuvre.

 

La deuxième conception est celle de durabilité (ou soutenabilité) « forte ». Au contraire de la précédente, celle-ci défend l’idée que le développement soutenable nécessite a minima le maintien d’un stock de capital naturel « critique » défini comme l’ensemble des éléments fournis par la nature dont les générations futures ne sauraient se passer. Cette vision se retrouve derrière l’approche par les coûts de maintien des potentialités écologiques. Cela a pour conséquence d’introduire une logique d’équivalences en termes physiques et non monétaires en cas de dommage et une démarche de compensation. Cette idée est présente derrière la séquence ERC.
 

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Un exemple d’instrument : la démarche éviter-réduire-compenser

Cette démarche vise à faire en sorte que le porteur de projet paye à la hauteur des dommages générés sur un projet (bruit, qualité de l’air, atteinte aux milieux etc.).

Dans ce cadre, le processus est réfléchis dès le début du projet afin d’éviter d’abord les impacts, puis les réduire au maximum avant de les compenser. L’objectif est donc « d'éviter les atteintes à l’environnement, de réduire celles qui n’ont pu être suffisamment évitées et, si possible, de compenser les effets notables qui n’ont pu être ni évités, ni suffisamment réduits » (CGDD, 2017). 

La séquence ERC pousse les  maîtres d’ouvrage à mieux prendre en compte l’environnement dans leurs décisions afin de prévenir tout dommage. Cela implique une réflexion en amont de la conception du projet : ce n’est plus seulement un facteur à prendre en compte mais un élément déterminant de ce que constituera le projet. 
Le respect de l’ordre des phases d’évitement, de réduction et de compensation est au cœur de la séquence. 

 

(1)    Éviter 

Cette première étape est fondamentale car c’est la seule qui permet d’éviter toute dégradation de l’environnement. L’idéal pour un projet est de ne pas avoir besoin d’enclencher les deux étapes suivantes. La phase d’évitement peut consister par exemple à modifier l’emplacement du projet, à réduire sa taille, à adapter ses techniques de construction, etc. 

(2)    Réduire

Si l’atteinte à l’environnement ne peut être évitée, la deuxième phase de la séquence s’enclenche. Le maître d’ouvrage doit alors mobiliser d’autres méthodes de construction économiquement soutenables afin de diminuer cette atteinte au maximum.

(3)    Compenser

La dernière phase de la séquence consiste à mettre en place des mesures compensatoires. Ces mesures doivent générer un gain de biodiversité de manière à compenser les atteintes négatives générées par un projet. Le gain net d’une mesure compensatoire doit être au minimum nul.
 

La compensation écologique au sein de la séquence Eviter - Réduire - Compenser (ERC)

La compensation écologique au sein de la séquence Eviter - Réduire - Compenser (ERC)

Mettre en œuvre une mesure compensatoire nécessite dans un premier temps d’identifier, de caractériser et d’évaluer les impacts d’un projet afin dans un second temps de définir les mesures compensatoires à mettre en place de manière à atteindre l’équivalence écologique.

Pour être reconnues, les mesures compensatoires doivent (i) être pérennes, (ii) être réalisées à proximité du site endommagé et (iii) être efficaces. 

Le maître d’ouvrage est responsable des mesures à mettre en œuvre. Il peut procéder de trois manières différentes pour les mettre en œuvre :

-    les faire lui-même ;

-    faire appel à un opérateur de compensation qui les réalisera pour lui ;

-    acheter des unités de compensation agréées par l’État. 

 

La séquence ERC se met en place en amont et durant le projet : c’est un processus ex-ante. Dans le cas où un dommage est constaté, il existe des procédures ex-post visant la compensation, comme l’application de la loi sur la responsabilité environnementale. 
 

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Une application juridique : la loi sur la responsabilité environnementale

La loi sur la responsabilité environnementale (LRE)  de 2008, transposition de la directive européenne du même nom, introduit un nouveau cadre de responsabilité environnementale dans le droit français. Tout exploitant responsable d’un dommage doit réparer les dégâts occasionnés en nature, c’est-à-dire en identifiant et en menant lui-même les actions de réparation. La compensation financière en est exclue et les pertes intermédiaires doivent également être prises en compte (pertes engendrées par le décalage entre le début des impacts et l’obtention des gains écologiques - source ici).

 

Le fonctionnement de la LRE

Cette démarche revient à internaliser les coûts environnementaux en faisant supporter au responsable du dommage les coûts de réparation, dans une vision de durabilité forte. Les dommages concernés sont les dommages environnementaux « purs », c’est-à-dire des détériorations directes ou indirectes mesurables qui affectent certaines ressources naturelles, certains services écologiques ou certains services rendus au public. 

Cette loi permet à l’autorité administrative compétente de prescrire deux types de mesures :

    (1)    Les mesures de « prévention » : elles interviennent en cas de menace imminente de dommage (permettant d’empêcher la réalisation du dommage ou d’en limiter les effets) et en cas de dommage, permettant de mettre fin à ses causes, de prévenir ou de limiter son aggravation ou son incidence.

 

    (2)    Les mesures de réparation : elles interviennent suite à un dommage et comprennent l’ensemble des actions et mesures visant à réhabiliter ou remplacer les ressources naturelles endommagées ou les services détériorés ou à fournir une alternative équivalente à ces ressources ou services. La réparation peut être :

     • primaire : action mise en œuvre permettant le retour à l’état initial ; 

     • complémentaire : action mise en place lorsque la réparation primaire ne permet pas au milieu de retourner à son état initial ou que ce retour est trop lent ;

     • compensatoire : action mise en œuvre pour compenser les pertes intermédiaires de ressources et/ ou de services qui surviennent entre le moment où le dommage se produit et le moment où le milieu retourne à son état initial.

 

Les réparations complémentaire et compensatoire peuvent être mises en œuvre soit sur le site endommagé (in situ), soit sur un site analogue (ex situ).

Représentation graphique des pertes de ressources ou de services, de la régénération naturelle et des trois catégories de la réparation du milieu endommagé

Représentation graphique des pertes de ressources ou de services, de la régénération naturelle et des trois catégories de la réparation du milieu endommagé

Focus : les types de dommages concernés par la LRE

Les dommages environnementaux visés par la LRE sont ceux qui :

  • « créent un risque d’atteinte grave à la santé humaine du fait de la contamination des sols » ;

 

  • « affectent gravement l’état écologique, chimique ou quantitatif ou le potentiel écologique des eaux » (visées par la directive-cadre sur l’eau) ;

 

  • « affectent gravement le maintien ou le rétablissement dans un état de conservation favorable » de certaines espèces et certains habitats naturels (visés par les directives Habitats et Oiseaux) ;

 

  • affectent certains services écologiques.

 

Source : «  Loi responsabilité environnementale et ses méthodes d’équivalence, guide méthodologique », collection Références du CGDD, Ministère en charge de l’écologie, 2013.

L’application concrète de la loi peut intervenir en deux temps :

1. en cas de menace imminente de dommage ou immédiatement après la survenance d’un dommage.

Ce sont les mesures de « prévention » à déployer immédiatement.

 

2. Une fois l’urgence gérée, les mesures de réparation primaire et/ou complémentaire puis compensatoire vont être étudiées et proposées par l’exploitant.

En cas de dommage affectant les eaux ou les espèces et habitats naturels protégés, la LRE préconise l’emploi des méthodes d’équivalence dans la conception et la proposition des mesures de réparation compensatoire et complémentaire. Si l’utilisation des approches en termes d’équivalence est impossible, la LRE préconise alors les approches par la valeur.

 

Illustration : détermination des mesures de réparations - les approches en termes d’équivalence et en termes de valeurs 
 

Choix de la méthode de restauration : les méthodes d'équivalence et les approches par la valeur

Choix de la méthode de restauration : les méthodes d'équivalence et les approches par la valeur

Les approches en termes d’équivalence (méthodes d’équivalence) visent à fournir une ressource ou un service de même quantité et qualité qu’avant le dommage. Les deux méthodes suivantes suivent cette approche : 

      1. La méthode « Habitat Equivalency Analysis » s’applique au sein d’un système complexe, dans lequel on reconnait qu’il existe des interactions entre les espèces et leurs milieux complexes. 

 

      2. La méthode Resource « Equivalency Analysis » s’applique à une système moins complexe, en compensant un dommage portant sur une seule espèce animale ou végétale. 

 

Les approches par la valeur (méthodes basées sur les préférences) partent d’une évaluation de la perte de bien-être et restaure des ressources ou des services qui sont de types comparables : 

  • L’approche valeur–valeur implique un gain de bien être équivalent à celui qui est perdu
  • L’approche valeur–coûts transforme la perte subie en un montant en euros au niveau du coût du projet de restauration. 

 

Source : «  Loi responsabilité environnementale et ses méthodes d’équivalence, guide méthodologique », collection RéférenceS du CGDD, Ministère en charge de l’écologie, 2013.

 

La finalité de ces approches est de dimensionner, dans le temps et dans l’espace, un projet de restauration écologique. L’approche en termes d’équivalence est le choix prioritaire pour dimensionner un projet. En fonction des informations disponibles, si l’approche en termes d’équivalence n’est pas possible, l’approche valeur-valeur est privilégiée. L’approche valeur-coût n’intervient qu’en dernier recours.

 

Les principaux points communs aux différentes approches sont :

•    l’utilisation d’un indicateur biologique/écologique (appelé proxy) représentatif de l’habitat ou de l’espèce concerné par le dommage ;

•    un processus de détermination des mesures de réparation en 7 étapes ;

•    le recours à l’actualisation.

Le processus de détermination des mesures peut se décomposer en 7 phases détaillées ci-dessous :
 

Réparation d'un dommage : explicatif des phases pour la restauration