Chemin vert dans un parc
© Jack Redgate de Pexels
1
.
La méthode
La méthode des coûts de transport consiste à évaluer combien une personne dépense en termes de temps (coût du temps) et d’argent (prix de l’entrée, du carburant…) pour se rendre sur un site environnemental. Il s'agit d'évaluer combien de biens marchands l'agent est obligé de consommer pour profiter du bien non marchand. Les dépenses de déplacement sont des prix implicites qui permettent d’évaluer le bénéfice que procure la visite du site à l’individu.
Cette méthode permet d’évaluer les bénéfices et/ou les coûts associés à un changement de la qualité environnementale d’un site, à sa création ou sa disparition. Elle est adaptée à l’évaluation de la valeur d’usage récréatif, touristique ou éducatif de sites environnementaux. Par exemple un site naturel comme un parc, une zone humide, etc.
2
.
Les étapes de l'évaluation
1/ Définition du site
L’enquêteur identifie les principaux usages du site, son périmètre, les périodes de visites, le lieu et les horaires adaptés pour l’enquête en fonction des usages.
2/ Choix de la procédure d’enquête
L’enquêteur choisit s’il effectue l’enquête sur un ou sur plusieurs sites. Il doit également décider s’il conduit l’enquête directement sur le site ou en dehors du site.
- Sur site : dans ce cas, il faut choisir une ou plusieurs dates et le lieu de l’enquête. Une enquête sur site peut être problématique pour la représentativité de l’échantillon des personnes interrogées. Les individus qui portent plus d’intérêt au site, y viennent plus et ont donc plus de chance d’être interrogés. (En effet, seules des personnes avec un intérêt positif pour le site seront interrogées puisque ce sont elles qui sont sur place.)
- Hors site : dans ce cas, il faut déterminer le périmètre de l’enquête. À partir de quelle distance du site n’est-il plus pertinent d’interroger des individus ? Il faut également choisir le moyen pour procéder à l’enquête. Par exemple, par mail, téléphone, courrier, entretien, etc.
3/ Collecte des informations
L’enquête doit récolter une certaine quantité d’informations sur la personne interrogée. Par exemple, les caractéristiques de l’individu, le mode et le temps de transport, le coût du transport, le prix de l’entrée éventuellement payé, le but et les usages de la visite, la périodicité des visites, s’il s’agit de la visite d’un ou de plusieurs sites.
4/ Mesure du coût total de déplacement
Un certain nombre de coûts peuvent être intégrés aux évaluations. Parmi ces coûts, on retrouve le coût de transport, le coût d’opportunité du temps, le coût du matériel nécessaire (chaussures de randonnée par exemple), le prix d’entrée et le coût éventuel du logement sur place.
Le coût total de transport est égal à la somme du coût « réel » du transport, du coût d’opportunité de temps de l’individu et des éventuels autres coûts nécessaires à l’usage récréatif du site visité.
On a donc :
Avec
- Coût de transport = (2 * distance domicile-site * coût kilométrique)/nombre de personnes
- Coût d’opportunité du temps = P * T/60 * R/135
- T = temps en minute,
- R = revenu mensuel,
- P = poids du salaire (il est généralement compris entre 1/3 et 1)
- et 135 la durée horaire mensuelle moyenne de travail en heures.
Le coût d’opportunité du temps pour se rendre sur le site correspond au coût que représente le fait de ne pas travailler. Il est égal à une fraction du taux de salaire de la personne. Si la personne interrogée est retraitée ou au chômage, alors ce coût d’opportunité est égal à zéro car elle ne pratique pas d’activité rémunérée. L’estimation du coût d’opportunité suppose que l’individu peut librement substituer son temps de travail et son temps de loisir.
5/ Traitement des données
Les données récoltées permettent de construire la fonction de demande des activités récréatives de l’individu en mettant en relation le nombre de ses visites avec les dépenses liées aux déplacements vers le site. Cette fonction de demande permet d’expliquer la visite d’un site en fonction de variables explicatives comme le coût du déplacement, des caractéristiques socio-économiques et d’autres variables exogènes (existence de sites substituts, l’âge, la taille du ménage,…).
La fonction de demande permet de calculer le surplus individuel moyen que procure une visite à un individu. Ce surplus donne le consentement à payer maximal d’un individu, en plus des dépenses déjà effectuées pour arriver sur le site, pour visiter le site. Il représente la valeur récréative qu’attribue l’individu au site. Mathématiquement, il correspond à l’intégrale de la fonction de demande entre le coût maximum à partir duquel l’individu renoncera à sa visite et le coût de transport occasionné par une visite.
3
.
Les avantages et limites de la méthode des coût de transport
Avantages de la méthode
La méthode des couts de transport permet d’évaluer des valeurs non marchandes comme le plaisir de se promener, d’admirer la nature, etc.
Il s’agit d’une évaluation à partir de comportements réels et non hypothétiques. Dans des situations hypothétiques, le consentement à payer de l’individu est généralement très différent de la réalité (biais hypothétique).
De plus, cette méthode est peu onéreuse en comparaison à d’autres et les résultats qu’elle permet d’obtenir sont relativement simples à interpréter
Les limites de la méthode
Quelle valeur faut-il donner au temps ? Le coût du temps peut être déterminé de plusieurs façons. Il peut être égal au salaire horaire de la personne, au salaire moyen dans la région, etc. Le coût lié au temps n’est pas le même pour tous. Selon les approches il peut avoir plus de valeur pour un actif que pour un retraité (si basé sur le salaire horaire).
Le déplacement doit-il réellement être considéré comme un coût ou le voyage fait-il part du plaisir que procure la visite ? De même, comment ne pas surestimer le coût du déplacement si le voyage comporte d’autres visites sur des sites naturels ? Et si les visiteurs habitent à proximité ? La valeur d’existence du site peut être élevée pour eux mais comme ils ne se déplacent pas ou peu, cette méthode ne le révèlerait pas.
Enfin, selon la méthode d’enquête (sur site ou hors site, par entretien ou par téléphone, …), les résultats obtenus peuvent varier significativement.
Du fait de ces limites, cette méthode permet plus de déterminer une borne inférieure de la valeur associée à l’actif naturel plutôt que sa valeur exacte.
4
.
Application dans le domaine de l'eau
Desaigues et al. ont cherché à estimer la perte de surplus des kayakistes générée par la construction de trois barrages hydrauliques sur la Creuse. La création des barrages a en effet transformé la rivière d’eau vive en une rivière d’eau calme modifiant ainsi les usages récréatifs du site (disparition de la pêche à la truite et des parcours de kayak, apparition de la baignade et de la pêche en eau calme).
Les auteurs ont procédé de manière détournée afin d’estimer la perte de surplus liée la disparition de l’activité kayak. Ils ont dans un premier temps estimé le surplus engendré par la pratique du kayak sur un autre site situé dans le périmètre de l’étude puis ils ont transféré ce résultat à la Creuse en prenant en compte les caractéristiques spécifiques à ce lieu et ses usagers.
Évaluation
Ils ont tout d’abord réalisé une enquête par téléphone et deux enquêtes sur le site auprès d’un total de 326 personnes. Cela a permis de répertorier quatre types d’usages récréatifs (baignade, promenade, pêche, sports d’eau vive), de définir deux types d’usagers (résidents et touristes) et de collecter leurs données socioéconomiques.
Les résultats sont présentées dans le tableau 1.
Tableau 1 : échantillon des populations et activités pratiquées
Résidents | Touristes | Total | ||||
---|---|---|---|---|---|---|
nombre | pourcentage | nombre | pourcentage | nombre | pourcentage | |
Echantillon total | 276 | 100% | 134(*) | 100% | 410 | 100% |
Usagers non récréatifs | 119 | 43% | 119 | |||
Usagers récréatifs | 157 | 57% | 134 | 100% | 291 | |
dont | ||||||
baignade | 67 | 24,3% | 91 | 68% | 158 | 54,3% |
pêche | 42 | 15,2% | 13 | 10% | 55 | 19% |
promenade | 14 | 14,1% | 23 | 17% | 62 | 21,3% |
sport en eau vive | 9 | 3,4% | 7 | 5% | 16 | 5,5% |
Quota add kayak |
(*) 134 personnes dont 69 français et 65 personnes de nationalité étrangère
L'analyse statistique des données collectées a conduit à la caractérisation socio-économique des usagers récréatifs.
Tableau 2 : caractéristiques socio-économiques des usages récréatifs résidents
Sportifs nautiques | Pêcheurs | Promeneurs | Baigneurs | |||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Caractéristiques | moyenne | écart-type | moyenne | écart-type | moyenne | écart-type | moyenne | écart-type |
Âge | 26 | 8,7 | 46 | 18,7 | 46,6 | 14,7 | 40,5 | 14,7 |
Nombre de visites / an | 7,6 | 10,5 | 17,5 | 21 | 9,3 | 14,8 | 12,3 | 15,9 |
Distance par rapport au site (km) | 44,5 | 24,6 | 22 | 23,8 | 26,2 | 27,5 | 33,2 | 28,9 |
Temps sur site (heure) | 13 | 18 | 13,4 | 38 | 5,8 | 4,2 | 6,3 | 5,3 |
Montant des dépenses sur site (francs) | 107,5 | 79 | 36 | 47 | 47,3 | 50,3 | 30 | 45 |
Nombre d'enfants | 0,86 | 1 | 0,78 | 0,95 | 0,78 | 0,95 | 0,85 | 1 |
Revenus mensuels | 7 000 | 9 500 | 11 500 | 11 000 |
Dans un second temps, ils construisent la courbe de fréquentation d’un site d’eau vive similaire à celui qui a été supprimé (la Sioule). Cette courbe correspond à la relation entre le nombre de visites pour 1 000 personnes et le coût de déplacement (encadré). Elle est estimée à partir de la méthode des moindres carrés ordinaires.
Courbe de fréquentation :
Avec :
En faisant augmenter le pseudo-prix (P*) jusqu’à ce que le nombre de visites soit nul on obtient la courbe de demande suivante :
Cette courbe permet d’estimer un surplus total de 9,47 millions de francs par an pour 4 000 kayakistes soit 3 369 francs par an et par kayakiste et environ 140 francs par visite.
Desaigues et al. transfèrent ensuite cette courbe de demande à la Creuse en prenant en compte les caractéristiques propres au lieu et à ses usagers. Ils obtiennent les résultats suivants :
- sans prendre en compte de site substitut : le surplus total pour les kayakistes de l’existence de la Creuse comme rivière à eaux vives est évalué à 4,2 millions de francs par an soit 2 122 francs par an et par kayakiste et 125 francs par visite.
- en présence de site substitut : le surplus total pour les kayakistes est évalué à 3,9 millions de francs soit 1950 francs par an et par kayakiste.
Source : La valeur de l’eau à usage récréatif : application aux rivières du Limousin, Desaigues, Lesgards, Liscia, 1998