Analyse conjointe ou méthode d'expérience de choix

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Analyse conjointe ou méthode d'expérience de choix

Coûts et dommages environnementaux
Analyse économique et décision
Cette fiche présente la méthode de l'analyse conjointe (ou expérience des choix), les étapes de la démarche ainsi que les avantages et les inconvénients associés à son utilisation. Cette fiche méthode se conclut en présentant un exemple concret d'application dans le domaine de l'eau.

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La méthode d'analyse conjointe ou méthode d'expérience de choix

L’analyse conjointe consiste à présenter des scénarios fictifs à un individu et lui demander de faire un choix. Au lieu de demander directement son consentement à payer, on le déduit de ses choix successifs.


Plusieurs ensembles de choix dits cartes de choix lui sont présentés. Chaque ensemble est composée de trois options (deux alternatives et la situation actuelle appelée le statu quo). Chaque option est elle-même composée d’attributs et associée à une valeur monétaire qui correspond à ce que devrait payer l’individu pour la mise en place d’infrastructures ou de politiques publiques permettant d’arriver à la situation décrite dans l’option.

Tableau 1 : exemple d'une carte de choix 
Option 1 Option 2 (statut quo) Option 3
Attribut 1
Qualité : faible
Attribut 1
Qualité : faible
Attribut 1
Qualité : faible
Attribut 2
Qualité : moyenne
Attribut 2
Qualité : forte
Attribut 2
Qualité : moyenne
Attribut 3
Qualité : faible
Attribut 3
Qualité : faible
Attribut 3
Qualité : moyenne
Contribution financière 4€ Contribution financière 6€ Contribution financière 5€

Selon les options, le niveau de qualité des attributs est plus ou moins élevé. La modification d’un seul attribut entre deux options permet d’évaluer la valeur associée à chaque attribut.

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Valeur estimée des biens et services

Les méthodes d’analyse conjointe permettent d’évaluer des biens ou services comportant des attributs environnementaux multiples. Par exemple, une zone humide peut avoir comme attributs l’épuration de l’eau, la biodiversité, l’accessibilité, le paysage, etc.

De la même manière que l’évaluation contingente, c’est une méthode qui permet d’estimer la valeur de non usage de biens ou services non marchands. Lorsqu’on parle de valeur de non-usage, cela signifie qu’on attribue une valeur à l’existence d’un bien ou d’un service, sans en faire usage. Par exemple, une espèce endémique a de la valeur de par son existence même.

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Les étapes de l'évaluation

Définition du bien à évaluer et de la problématique

La première étape consiste à identifier les attributs environnementaux associés à un actif et à estimer leur qualité. Il faut choisir les attributs les plus importants, ceux qui génèrent l’usage du bien environnemental, et ne pas omettre les essentiels afin de ne pas biaiser les résultats. Le nombre d’attributs doit être limité au maximum à 4 ou 5 pour éviter un questionnaire trop long et trop lourd (voir biais cognitif, plus bas).

 

Pour cette étape, l’enquêteur s’appuie en général sur des informations récoltées suite à des discussions avec des experts ou lors de focus groupes. Parallèlement, l’enquêteur détermine également les montants des contributions financières et de quelle façon l’enquêté la versera (don, impôt, augmentation d’une facture, …).

Différentes méthodes d’analyse conjointe

L’analyse conjointe peut être appliquée selon plusieurs variantes :

  • La plus connue, l’expérimentation des choix (Choice experiment) consiste à demander à l’individu interrogé de choisir le scénario qu’il préfère parmi les options présentées dans la carte de choix,
  • d’autres variantes consistent à lui demander de les classer par ordre de préférence ou de leur attribuer une note,
  • enfin, il existe également des variantes utilisant des comparaisons par paires où la carte de choix n’est composée que de deux options.

 

Procédure de réduction

Plus le nombre d’attributs et de niveaux de qualité est élevé, plus les combinaisons de choix sont nombreuses. Par exemple, pour 3 attributs avec 3 niveaux de qualité et 4 niveaux de contribution différents, il existe 108 combinaisons. Il serait trop long de toutes les tester auprès de la personne interrogée. C’est pourquoi, il est nécessaire de réduire le nombre de combinaisons présentées en utilisant un plan d’expérience (experimental design).

L’objectif du plan d’expérience est de générer le meilleur sous-ensemble de combinaisons. C’est à dire, de présenter à la personne interrogée les combinaisons qui donnent le plus d’informations sur ses préférences avec le moins de choix possibles à faire.

 

Réalisation de l’enquête

L’enquête peut être réalisée par entretiens directs, en ligne ou plus rarement via questionnaires envoyés aux personnes interrogées.

 

Analyse des résultats

L’analyse statistique des données récoltées permet de déduire, pour chaque personne interrogée, l’utilité qu’elle associe à chaque niveau de qualité d’attribut. L’addition de ces utilités partielles permet d’estimer une utilité globale pour le bien environnemental évalué. Ce qui permet ainsi de lui attribuer une valeur.

L’analyse conjointe permet de calculer les utilités partielles qui sont associées à chaque modalité de chaque attribut. Ces utilités partielles correspondent au poids de la modalité dans la structure de choix de l’individu. Les méthodes d’estimation dépendent essentiellement des choix du format de recueil des données (et donc de l’étape précédente).

Il existe plusieurs méthodes d’analyses statistiques pour l’estimation de ces utilités. Parmi elles, la méthode des moindres carrés, les modèles de régression monotone, logit, probit, etc.  Le choix de la méthode d’analyse utilisée dépend du format des données récoltées et donc de la méthode d’analyse conjointe utilisée.

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Les avantages et les limites/biais de la méthode d'analyse conjointe

Avantages

Les méthodes d’analyses conjointes sont plus simples à appréhender pour la personne interrogée car il est plus intuitif de faire des choix que de donner un consentement à payer tel quel. Les méthodes d’analyse conjointe sont une évolution de la méthode d’évaluation contingente. Même si elles restent très proches, l’analyse contingente permet plus de résultats en une seule étude.

 

Limites et biais

Les méthodes d’analyses conjointes possèdent la plupart des biais liés aux enquêtes. Parmi eux :

  • hypothétique : le caractère hypothétique de la situation peut influencer les choix des individus et modifier leur consentement à payer ;

 

  • stratégique : s’il anticipe l’utilisation que sera faite de sa réponse, l’individu peut mentir sur son consentement à payer dans le but d’influencer le résultat final de l’analyse ;

 

  • d’inclusion : les individus peuvent attribuer la même valeur à un bien environnemental particulier (par exemple un tronçon de rivière) et à un bien plus large (par exemple toutes les rivières du bassin versant, ou toutes les rivières du département) ;

 

  • de « yeah saying » : la personne interrogée peut faire le choix de l’option où la valeur monétaire associée est la plus élevée simplement pour faire plaisir à l’enquêteur.

À ces derniers, s’ajoute un biais cognitif. La modélisation des choix implique un effort cognitif, les personnes interrogées peuvent avoir des difficultés à arbitrer entre plusieurs choix et rencontrer des problèmes de concentration. Pour éviter cela, la solution la plus simple est de limiter le nombre d’attributs et de choix à faire.


De plus l’analyse des résultats est plus complexe. Le grand nombre de scénarios et la multitude de choix à faire par l’individu implique un traitement économétrique des données plus complexe que pour les méthodes précédentes.

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Application dans le domaine de l’eau

Dans le cadre d’une étude réalisée en 2010 pour le compte du Commissariat général au développement durable (CGDD) une enquête a été conduite en Basse-Normandie afin d’appréhender les valeurs d’usage et de non usage associées à la zone humide du Parc Naturel Régional (PNR) du Cotentin et du Bessin.

L’analyse conjointe a permis d’évaluer la valeur de trois services rendus par les zones humides :

    • la valeur esthétique et la valeur récréative, caractérisées par les attributs «accessibilité» et «paysage», le plaisir retiré de la pratique d’activités récréatives étant lié à la beauté du paysage conduisant à regrouper ces deux attributs pour l’analyse ;

     • le service de purification de l’eau, caractérisé par l’attribut «qualité de l’eau». Cet attribut fait explicitement référence au rôle des zones humides dans le traitement naturel de l’eau et au lien entre la qualité de l’eau et des activités telles que la conchyliculture ou l’alimentation en eau potable ;

     • la biodiversité caractérisée par l’attribut «diversité des animaux et végétaux». Cet attribut fait référence au nombre d’espèces et à la taille de leur population en ciblant plus particulièrement les espèces rares et protégées.

 

Les cartes de choix présentées aux individus étaient de la forme suivante :

Carte de choix présentée dans le cadre de l'enquête pour l'analyse conjointe

Carte de choix présentée dans le cadre de l'enquête pour l'analyse conjointe

Valeurs estimées par l’étude 

Suite à l’analyse économétrique des résultats de l’enquête, la valeur accordée à chaque attribut a été déterminée.

Tableau 2 : valeurs accordées aux marais du Cotentin et du Bessin
Attributs Consentement à payer (en € 2010/personne/an)
Biodiversité 9 €
Purification de l'eau 15 €
Paysage et accès au site 15 €
Total 39 €

 

Source : CGDD, enquête auprès de 800 personnes conduites pour déterminer le consentement à payer associés à la préservation des marais du Cotentin et du Bessin

Une analyse plus détaillée a également été conduite afin de constater les différences de valeur accordée selon les types de population.

Ainsi, une distinction entre les petites villes et les grandes villes a été mise en évidence. Les habitants des grandes villes accordent une valeur deux fois plus élevée pour les zones humides du PNR du Cotentin et du Bessin que les habitants des petites villes. Cette différence est en particulier due à l’attribut biodiversité qui a une valeur non significativement différente de zéro pour les trois petites villes, à comparer aux 21 euros par personne et par an observés pour les interviews réalisées dans les grandes villes.

 

Tableau 3 : valeurs accordées au Parc Naturel Régional (PNR)
  Zone d'enquête
Attributs Caretan - Isigny - Saint-Lô Cherbourg - Caen - Rennes
Biodiversité 0 € 21 €
Purification de l'eau 17 € 27 €
Paysage et accès au site 13 € 15 €
Valeur totale de la zone 30 € 62 €

 

Légende : les valeurs sont exprimées en euros 2010 par personne et par an

Il a aussi été constaté que le revenu et l’âge jouaient respectivement positivement et négativement sur la disposition à payer. Enfin, ce sont le niveau d’étude et l’intensité des pratiques environnementale qui semblent affecter le plus significativement la valeur accordée par les individus aux services rendus par la/les zone(s) humide(s).

Tableau 4 : consentement à payer pour la préservation des services rendus par les zones humides déterminé selon les caractéristiques étudiées
  Petites villes Grandes villes
  CAP % CAP %
Revenus 25% les plus modestes 33 36% 33 22%
Revenus intermédiaires 27 47% 46 46%
25% les plus aisés 71 17% 63 32%
Niveau de diplôme Inférieur au bac  18 66% 30 49%
Au moins égal au bac 73 34% 71 51%
Âge Moins de 45 ans 36 43% 54 44%
45 ans ou plus 25 57% 39 56%
Pratiques environnementales Faibles 21 72% 35 67%
Fortes 73 28% 77 33%

 

Source : Katossky A. et Marical.F (MEDDTL/CGDD/SEEIDD) Etude & Documents n°50 - Evaluation économique des services rendus par les zones humides - Complémentarité des méthodes de monétarisation, août 2011